Quand on observe la génération des artistes italiens qui ont aujourd’hui entre vingt et trente ans, on remarque deux choses qui sont à la fois symptomatiques et dans la continuité l’une de l’autre. A savoir qu’après des années de retrait, de véritable amnésie, l’Histoire de notre pays devient un matériau qui produit des images, et deuxièmement que le regard de ces jeunes artistes – qui n’ont connu ni 68 ni 77 – débute précisément à partir de ces années 70 où s’est produit un habitus social et un agir politique dont les conséquences sont visibles et tangibles aujourd’hui. C’est une histoire sans nostalgie, qui n’est pas relue à travers la séduction de l’esthétique de l’archive, mais qui fait de l’archive, de la mémoire, du document, un dispositif pour interpréter le présent. Le film, en vertu de ce qui semble être une faculté de mémoire qui lui est propre, est souvent le moyen d’expression auquel est confiée l’analyse du passé pour la raison que, fait lui-même de temps, c’est au temps présent qu’il relate une action.
Dans son dernier travail, Riccardo Giacconi voit dans 1963 une année cruciale, celle où se produisent deux faits éditoriaux importants et éloignés que seule sa vidéo, L’altra faccia della spirale, réunit : la publication de Una questione privata de Beppe Fenoglio de Einaudi et celle de la Trilogie de la Fondation d’Isaac Asimov, publiée chez Urania. Ces deux ouvrages relèvent du roman de genre : le roman de la résistance qui, pour Italo Calvino, a justement trouvé dans le livre de Fenoglio sa formule la plus aboutie et le roman de science-fiction, dans le cas d’Asimov. S’inscrivant l’un comme l’autre dans le droit fil d’un genre, ils en deviennent la référence. Surtout, chez l’un comme chez l’autre, le moteur de l’Histoire, sa raison, c’est l’individu, qu’il s’agisse d’un individu en particulier ou d’une collectivité. Le public auquel ils s’adressent est le même, c’est celui qui vit pendant ces années où, pas seulement en Italie mais aussi en Europe, certaines décisions politiques et économiques sont prises et vont avoir des répercussions énormes sur la société occidentale. C’est à ce moment que Pasolini fait remonter le début d’une déformation anthropologique qui allait être fatale aux valeurs de l’Italie. Des valeurs qui, après que le pays soit sorti de la guerre par la résistance, étaient en train de disparaître. Un texte concerne le passé, l’autre l’avenir : mais ce décalage, cette dyschronie, est justement ce qui donne aux deux textes la capacité à être contemporains – c’est-à-dire de parler à leur temps mais, disons-le, au nôtre également. Le même décalage est opéré sur le plan de l’image par Riccardo Giacconi : les images filmées de six anciens partisans en train de lire des extraits de la Trilogie alternent avec des plans séquences de lieux où se sont produits certains faits de Résistance. Dans le mot prononcé -et donc rendu à la vie- et dans le contexte du paysage, le texte d’Asimov acquiert la valeur de fresque historique, tandis que la figure de l’ancien partisan, dont le portrait est fait dans sa dimension privée, renvoie à la nécessité de raconter l’Histoire à travers les histoires : c’est le noeud central du roman de Fenoglio qui trouve ici une de ses figures. La vidéo s’accompagne de tables : l’artiste a demandé à chacun des anciens partisans avec qui il a travaillé de choisir un extrait du texte lu. Ces phrases, réécrites à la main – reparcourues, reprononcées, et par conséquent rendues à nouveau vivantes et urgentes – sont présentées sous forme de tables. En équilibre instable entre la mise en garde et le cénotaphe.
Cecilia Canziani |
Born 1985, San Severino Marche.
He lives and works in Lyon, France.
Group shows
2010: Dezplazamientos temporales, La Alhóndiga, Bilbao, Spain
You-We + Ablo; Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, Rotonda di Via Besana, Milan, Italy
Argonauti, ArtVerona Art Fair, Verona, Italy
videoREPORT ITALIA 2008-09, Galleria Comunale d’Arte Contemporanea, Monfalcone, Italy
2009: Documents, Fondazione Spinola Banna, Banna (TO), Italy |